Couverture

Décidément, ma récolte "mangas d'auteur" est excellente en ce moment, et Jirô Taniguchi se tape l'incruste dans toutes mes chroniques dédiées au genre. Cette fois, il adapte des nouvelles de Masayuki Kusumi.

Jugez plutôt : Le gourmet solitaire est un homme qui profite de ses déplacements professionnels pour découvrir autant de restaurants de quartier, leur ambiance, leurs habitués, leurs spécialités... Il aurait pu avoir d'autres vies. Il aurait peut-être pu ne pas se disputer avec sa compagne lors de ce voyage à Paris. Mais il vit désormais seul, importe des articles de mode au Japon et profite avec bonheur de la vie qu'il a. Une vie d'homme, d'un homme sensible aux plaisirs de la gastronomie et à la vie des quartiers populaires.

Modeste

Le gourmet solitaire contient ainsi dix-huit petits récits de repas. À chaque fois, notre personnage choisit son restaurant, s'installe, compose son menu, déguste et s'en va repu. À première vue, le concept peut sembler austère et barbant. Hé bien, il se trouve que c'est on ne peut plus envoûtant ! On est pris par la poésie de cet homme parfaitement ordinaire qui prend plaisir à manger. C'est sa modestie qui touche, ce manque avoué et assumé de certitude quand au bon choix à faire. Va-t-il être à sa place dans tel restaurant ? Qu'est-ce qu'il convient d'y manger ? Le choix était-il bon en fin de compte ? À ce titre, la nouvelle traduite à la fin du manga justifierait à elle seul l'achat du livre. Je me permets d'en recopier un passage : Et pourtant, ce bistrot qui me fait ressentir de “l'appréhension”, je sais par expérience qu'il a de fortes chances de se révéler un “bon” bistrot, un endroit que je vais sans doute aimer. Je veux dire un endroit où le samourai solitaire se sentirait en harmonie. Cette taverne dans laquelle le guerrier taciturne est entré en ouvrant la porte à la volée et a gueulé “Du saké !”, je parie que la bouffe y est bonne. Je veux dire… est-ce que vous croyez que le guerrier taciturne va se trouver en harmonie dans une supérette ? Mais il n'y entre même pas, dans la supérette, le guerrier taciturne !

Nostalgique

Les pensées du personnage que l'auteur nous fait partager, parfois quelque peu existentielles, ajoutent une touche très agréable pour qui aime la nostalgie et la douce amertume du temps qui passe. Sur le chemin du retour, en repensant à l'échoppe où il a déjeuné : ... Cette boutique... je veux dire, le vieux... Qu'est-ce qui l'attend, lui ? Il a dit que sa femme était malade, mais dans cinq ans, dans dix ans… Qu'est-ce qu'il va faire, tout seul dans cette ville ?

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Réaliste

Le manga est émaillé de trop de références culturelles japonaises pour qu'un occidental puisse les saisir toutes. Mais Taniguchi a la bonne idée de nous les distiller comme faisant partie de l'histoire. Ainsi, au fil des pages, on en apprend beaucoup sur le Japon. Mine de rien, l'histoire des vêtements en cuir des habitants de Jôshû nous enseigne qu'il y souffle une bise glaciale. On assiste avec bonheur à la rencontre du tokyoïte réservé avec les habitants d'Osaka bien plus expansifs. Le sushi-bar rempli de femmes en fin d'après-midi nous renseigne sur la condition féminine au Japon. Le serveur chinois fait les frais de la xénophobie de son patron japonais qui n'a d'égal en force que l'humanisme de Taniguchi.

Évidemment, le sujet principal, la nourriture, est traité avec grand soin sur le mode réaliste. Les plats sont décrits, goûtés, appréciés, expliqués, leurs combinaisons testées… Soulignons d'ailleurs que le gourmet solitaire bénéficie d'une excellente adaptation en français, de même que la nouvelle de Masayuki Kusumi incluse à la fin du livre, un vrai plaisir à lire.

Allez, j'espère vous avoir mis l'eau à la bouche. C'est édité chez Casterman dans la collection Sakka.

Quelques images pour finir…

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